La fable du plein emploi

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Je suis demandeur d’emploi, bénéficiaire d’abord de l’ARE (Allocation de Retour à l’Emploi) puis de l’ASS (Allocation de Solidarité Spécifique). Mon travail fait parti des activités jugées non-essentielle depuis le dernier confinement et je faisais partie de ces cohortes d’artistes qui cherchaient des tigres à chevaucher pour traverser la rue.

En juin 2021, juste à la sortie du dernier confinement, j’ai un contrôle CRE (Contrôle de Recherche d’Emploi) de Pôle Emploi. On me demande de justifier ma recherche d’emploi durant les six derniers mois (deux confinements successifs). L’offre de résidence artistique a fondu pendant cette période et j’étais empêchée d’exercer à cause de la situation sanitaire. Le roman que j’étais en train d’écrire n’était pas considéré comme une activité professionnelle. Les deux expositions auxquelles je devais participer et qui avaient été déprogrammées non plus. Néanmoins, on me confirme me maintenir en demandeur d’emploi.

C’est pourquoi je suis sidérée de découvrir que je suis sanctionnée et désinscrite de Pôle Emploi. Je n’ai jamais reçu la lettre censée m’avertir de cette sanction, j’ai découvert dans mon espace de demandeur d’emploi que je n’étais plus inscrite et que donc je n’aurai plus d’allocation. Le site m’indique que je peux me réinscrire dans un mois. Comme j’ai des enfants à charge, je signale immédiatement la situation à la CAF afin d’obtenir un RSA (Revenu de Solidarité Active) de substitution. D’autant que les textes disent que lorsque l’allocation est supprimée, elle n’est pas renouvelée à moins de remplir à nouveau les conditions d’attribution, impossible dans mon cas.

Mais les jours d’indemnités restent enregistrés. C’est une radiation partielle et je ne peux donc pas prétendre au RSA. Autrement dit, statistiquement, je ne peux pas basculer de l’ASS au RSA, ce qui se verrait dans les chiffres et mettrait à mal la fable du plein emploi. Je suis donc privée de mon allocation pendant un mois et n’ai aucun recours financier. Cela veut dire que pour faire tourner mon foyer je m’endette, et donc me précarise. C’est l’été 2021, et tombent les chiffres et les annonces médiatiques : le chômage n’a jamais été aussi bas malgré la crise sanitaire. Peut-être que je ne suis pas la seule à avoir subi ce traitement?

Réintégrée au bout d’un mois, je cherche une formation. Au printemps dernier, je m’inscris en création d’entreprise et monte un projet viable dans le domaine culturel en territoire rural. Mon business plan est très bon. J’ai cependant besoin d’investir 800 euros pour démarrer et cette somme ne cesse d’augmenter de mois en mois en raison de l’inflation. Pourtant, je planifie l’ouverture de mon entreprise en janvier 2023 et entreprend d’engranger l’investissement nécessaire sur mes 500 euros d’allocations mensuelles parce que je mène un beau projet auquel je crois.

Je ne suis pas seule, nous collaborons avec plusieurs personnes. Nous menons de nombreuses réunions en vue de la création de cette activité. Je ne cesse d’ailleurs d’enchaîner les entretiens avec les structures d’accompagnement à la création d’entreprise, ou d’accompagnement à la revitalisation du territoire rural.

En octobre, je suis convoquée à une réunion collective dans les bureaux de Pôle Emploi, destinée aux chômeurs longue durée et aux derniers arrivés afin de les informer du fonctionnement, de leurs droits et de leurs devoirs. À trois mois d’ouvrir mon entreprise, je ne me sens pas concernée par ce rendez-vous, que je décline dans mon espace de demandeur d’emploi avant d’en réclamer un autre à ma conseillère afin de l’informer de la réalité de ma situation. En effet, comme je change de conseillère tous les trois mois (nouvelle politique aussi), je me dis qu’elle a peut-être oublié de me catégoriser dans les créateurs d’entreprise.

Un rendez-vous téléphonique est programmé huit jours plus tard. Mais une réunion autour de mon projet s’organise au même moment, et toute à la préparation de celle-ci j’oublie mon rendez-vous pôle emploi. Je m’en aperçois une demi-heure trop tard en rallumant mon téléphone et en écoutant mes messages. J’écris aussitôt un mail à ma conseillère en m’excusant platement. Mon oubli est ma justification. Mon travail aussi. Elle programme un nouveau rendez-vous.

Et je pense que cela suffit. Mais non ! Huit jours après, j’ai un appel de Pôle Emploi qui m’accuse de ne pas m’être rendu à un rendez-vous sans justifier mon absence. Je m’entends dire qu’il faut vérifier où sont les gens comme moi, que j’ai des devoirs, et qu’en conséquence je suis sanctionnée. À partir de là, après avoir entendu des choses extrêmement humiliantes, le processus qui conduit à la radiation est totalement opaque, si ce n’est qu’il conduit à un compte rendu d’entretien qui ne mentionne absolument pas ma création d’entreprise, et que je conteste aussitôt sans qu’il ne soit jamais modifié.

Les textes disent que nous avons le droit de refuser deux rendez-vous sans justification et le droit à l’erreur. Donc, je suis encore dans ce droit-là. Les textes disent aussi que pour un premier rendez-vous manqué, la sanction est la radiation avec maintien de l’allocation.

https://www.pole-emploi.fr/candidat/pole-emploi-et-vous/vos-droits-et-vos-engagements.html

Les textes disent toujours que je dois recevoir un courrier m’informant de ma sanction.

https://www.demarches.interieur.gouv.fr/particuliers/chomage-radiation-pole-emploi

Mais rien de tout ça ne se passe. J’ai fait plusieurs courriers à la direction de Pôle Emploi, censée répondre dans les 24 heures mais j’attends toujours leur réponse !

J’ai aussi immatriculé mon entreprise et envoyé les justificatifs. Dans le cadre de la création d’entreprise, le dispositif de l’ACRE (Aide à la Création ou Reprise d’Entreprise) permet d’être exonéré des charges pendant un an et de maintenir l’ASS pendant trois mois. Ce dispositif a déjà été bien raboté depuis une réforme en 2020, il permettait auparavant le maintient de l’ASS pendant la première année et trois ans d’exonération de charges.

https://www.portail-autoentrepreneur.fr/actualites/reforme-acre-2020

Malgré tout, je viens de découvrir dans mon espace de demandeur d’emploi que je n’étais plus demandeur d’emploi, et que j’avais plus d’allocation non plus. Et je n’ai aucun moyen de savoir s’il s’agit d’une radiation partielle ou totale.  Seul le texte de mon avis de situation que je peux charger dans mon espace de demandeur d’emploi (que donc je dois aller chercher) m’informe que: « Votre situation pourra être réexaminée si vous remplissez à nouveau les conditions d’inscription en tant que demandeur d’emploi.»

Je n’ai aucun moyen de savoir ce que cela signifie, et c’est assez violent : Tu as des sous ? Tu n’as plus de sous ! Tu as des projets ? Tu n’as plus de projet !

Je viens d’investir en catastrophe pour démarrer mon activité. Je n’aurai pas d’allocation en décembre, pas le droit au RSA non plus, et donc pas la prime de noël à laquelle je pouvais prétendre. Je n’en suis pas certaine, mais sans l’ASS, je crois que je ne rentre plus dans les critères pour bénéficier de l’ACRE, et à présent entrepreneuse, je ne suis pas certaine non plus  de pouvoir rouvrir des droits. Sans compter que dans ce dispositif, même en étant entrepreneuse, je devrais cocher que je continue de chercher un emploi lors des actualisations mensuelles (service auquel je n’ai plus accès).

Autrement dit continuer d’être à la merci de ces fonctionnements incompréhensibles. Et injustes. Et humiliants. En réalité, c’est juste inacceptable, comment ne pas renoncer à ce droit ?

Je subis l’inflation comme tout un chacun, et je fais partie des foyers pour lesquels c’était déjà très dur. Bien évidement mon activité n’est pas encore en mesure de prendre le relai de cette perte d’allocation. Mais pendant ce temps, la réforme du chômage et la fable du plein emploi continue d’inonder la communication gouvernementale.

Ce qui motive le plus la publication de cet article est de savoir ce que deviennent les gens comme moi, privés de leur allocation chômage et empêchés d’ouvrir leurs droits aux minimas sociaux par ce maintien dans un dispositif qui ne répond pas aux règles définies, mais permet de trafiquer les chiffres. Je voudrais que l’on pense à nous, à chaque fois que les chiffres vantent cette politique du plein emploi.

La réalité c’est que nous sommes totalement invisibilisés et précipités dans la précarité sans aucun recours possible.

Source: Mediapart

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